Sébastien Antoine
Cet article est paru en deux parties dans les bulletins Tome XV -N°235 et N°236
Première partie
Situé en Slovaquie, au cœur de l’Europe dans les Carpates occidentales, le massif montagneux des Hautes Tatras représente un haut lieu de la biodiversité végétale. La chaîne de montagne des Hautes Tatras chevauche la frontière entre la Slovaquie et la Pologne. L’arête centrale de ce massif est constituée de granites, vestiges d’une éruption de l’ère primaire. Ces roches forment les sommets les plus hauts qui culminent jusqu’à 2655 m (Pic Gerlachovsky). Une partie de la chaîne montagneuse est aussi formée de calcaires et dolomites du secondaire. Considéré comme le toit des Carpates, leur relief disséqué est de type alpin avec de nombreux lacs qui dominent de larges vallées d’origine glacières. Leur petite taille (26 km de long pour 10 km de large) justifie leur surnom de plus petite haute montagne d’Europe. L’isolement géographique des Tatras conduit nombre d’espèces animales et végétales à se spécifier, ce qui a développé un endémisme important. Sur les 1300 espèces végétales recensées sur le territoire du parc on en compte presque 400 d’endémiques !
En 1952 fut crée le parc national Vysoké Tatry sur 50 000 ha, et assez récemment une réserve de la biosphère a été constituée sous l’égide de l’UNESCO en partenariat avec la Pologne. La multitude d’espèces végétales présentes dans les Carpates a motivé le parc national Vysoké Tatry à créer un jardin alpin afin de sensibiliser le grand public à la protection de la flore de montagne. C’est non loin du siège du arc national Vysoké Tatry, dans la commune de Tatranskà Lomnica à 848 m d’altitude que se trouve le jardin alpin. Géré par le parc et entretenu par plusieurs techniciens horticoles, il joue un grand rôle dans le tourisme local, les semences servent aussi à enrichir l’ index seminum du jardin botanique P.J. Šafárik situé à Kosice.
L’histoire des jardins alpins dans le massif des Hautes Tatras remonte à la fin du 19è siècle, où l’on vit l’installation d’un premier jardin alpin dans les Hautes Tatras (qui n’eut qu’une courte existence) aussi, fallut-il attendre presque 100 ans pour voir l’idée d’un véritable jardin alpin durable se concrétiser. En 1987 furent posées les premières pierres de ce jardin alpin (qui est encore aujourd’hui en développement). Au début de l’année 2007 le parc a renforcé et confirmé les objectifs de ce jardin en construisant un spacieux chalet pour l’accueil du public. L’objectif est clairement défini : faire connaître et protéger la flore locale; dans ce jardin alpin, on ne trouve que des plantes présentes dans les Carpates. Dans le vaste chalet d’accueil on trouve, outre la maquette du jardin, de nombreux panneaux présentant l’historique du jardin et des photos des plantes. En sortant du pavillon on voit un panneau qui nous informe sur l’étiquetage des plantes et les légendes des étiquettes. Celles-ci, en plastique ou en bois, nous signalent à l’aide de cercles et de triangles de différentes couleurs le caractère endémique et vulnérable de la plante présentée. Le jardin compte actuellement une dizaine de rocailles dont une est de taille monumentale ! Construite à l’aide de pierres granitiques, elles ont toutes un style différent et poussent loin l’art du rocailleur. Ces rocailles sont de véritables massifs rocheux granitiques qui n’ont rien à envier aux alpinums ou la roche calcaire est reine.
Tout de suite en entrant dans le jardin, une imposante rocaille attire le regard. Constituée de gigantesques galets, elle nous attire au centre du jardin. Avant d’y arriver plusieurs petites rocailles couvertes de Dryas octopetala et de Jovibarba hirta var glabrescens offrent un bel ornement. La grosse rocaille en galets gigantesques est la rocaille la plus ancienne du jardin, son sommet est couvert de Pinus mugo, sur ses contreforts y prospèrent : Dianthus praecox (taxon spécifique aux Carpates souvent assimilé à Dianthus plumarius) Minuartia laricifolia subsp. kitaibelii, aux fleurs plus grandes que le type, que l’on trouve dans les Carpates (il est à noter que l’épithète Kitaibelii, que l’on retrouve souvent dans la nomenclature botanique est un hommage à Pál Kitaibel, botaniste et chimiste hongrois du 18è siècle). L’Aster alpinus bien connu dans nos rocailles, Ranunculus thora aux larges feuilles (qui pousse ici dans une poche de calcaire), le cosmopolite Saxifraga paniculata et Minuartia verna, héritage floristique des montagnes du sud de l’Europe et de l’ouest asiatique. Gypsophylla repens, prospère dans un petit éboulis rocheux prés de Cochlearia tatrae aux fleurs jaune pâle, qui est une endémique rarissime des Tatras. Elle ne se trouve que sur les flancs de la montagne : Vel’ký Mengusovský štít situé sur la frontière entre la Slovaquie et la Pologne. On observe aussi Primula auricula, commune dans les Alpes et les Carpates, plusieurs subsp d’Anthyllis vulneraria ; la subsp alpestris au calice moins long que le type et aux feuilles possédant toujours de 5 à 7 folioles et la subsp carpatica qui est beaucoup moins velue que le type. Il y a aussi une belle touffe de Carex firma qui prospère ici dans un milieu indiscutablement acide (chose curieuse pour une plante habituellement considérée comme calcicole) et un beau Cerastium lanatum (syn : Cerastium alpinum subsp lanatum) très décoratif avec ses tissus laineux.
Le pourtour de la rocaille est peuplé de belles touffes de Galium anisophyllum, qui forment des coussinets et d’un tapis de Thymus pulcherrimus subsp. carpaticus, le thym endémique des Carpates. On peut voir aussi Onobrychis montana, le sainfoin des montagnes aux fleurs roses veinées de pourpre, Sempervivum wettsteinii, Sempervivum, endémique des Carpates, synonime de Sempervivm montanum subsp. carpaticum, le Salix alpina, au port prostré et aux feuilles bien entières, un beau pied de Trollius altissimus en fleurs et la Viola biflora, aux fleurs jaunes vif, qui pousse dans les lieux humides et ombragés. Le jardin compte aussi une tourbière aménagée et l’on s’y déplace sur des caillebotis. On remarque : Geranium palustre et Iris sibirica en belles touffes, Polygonatum bistorta y prospère ainsi que le Carex paniculata. Gladiolus imbricatus est présent ainsi que Valeriana simplicifolia, Alisma plantago-aquatica est là aussi. La tourbière se termine avec une belle touffe de Salix repens subsp. rosmarinifolia.