- Cet article est paru dans le bulletin SAJA de 1955 N° 15 4e Année
J.M. et F. TURMEL
Il est connu de tout le monde que les plantes poussent très peu en montagne et les experiences de G. Bonnier, entre autres, sont là pour donner des précisions quant à la valeur de cette croissance; cependant, il existe peu de données relatives à l’age de ces plantes. Au cours d’un précédent travail, l’un de nous avait déjà montré quelle pouvait être la vitesse de croissance de sept espèces ainsi que l’âge approximatif des rameaux les plus importants.
Nous donnerons ici pour neuf autres espèces (et deux déja étudiées) la vitesse de croissance et lâge de quelques rameaux, en insistant sur Globularia nana, dont les tiges présentent une structure très particulière.
Deux méthodes ont été employées pour déterminer la vitesse de croissance des sujets étudiés : la première consiste à mesurer la longueur total d’un rameau et à la diviser par le nombre d’années que l’on détermine en comptant les anneaux de croissance annuelle sur des coupes transversales à la base des rameaux; la deuxième en mesurant la longueur des pousses annuelles le long des tiges lorsque les cicatrices des écailles protectrices des bourgeons sont bien visibles. La première méthode est parfois susceptible d’imprécision quand il y a eu de fréquentes brisures des rameaux.
Nous rappellerons tout d’abord les résultats déja obtenus. Sur ces sept espèces, vivant à 2000 m au sommet du pic Sagette, dans la haute vallée d’Ossau (B.P.), (Rhododendron ferrugineum, Empetrum nigrum, Arcostaphylos uva-ursi, Dryas octopetala, Cotoneaster vulgaris, Salix pyrenaica, Salix reticulata), seule deux espèces ont une croissance moyenne annuelle de plus de 5 cm ! C’est Arcostaphylos uva-ursi (6 cm) et Cotoneaster vulgaris, dont certains rameaux sont très privilégiés puisqu’ils peuvent avoir des croissances de 8,2 cm en moyenne. Mais ordinairement la croissance est de 2 cm par an : Rhododendron ferrugineum, Empetrum nigrum, Dryas octopetala, Salix pyrenaica et Salix reticulata n’ont annuellement qu’une croissance de 0,9 cm environ, cependant certains rameaux de S. pyrenaica ont des allongements de près de 4 cm, les autres branches de la plante restant courtes.
Dans la présente note, les onze espèces proviennent encore du sommet de la Sagette de Buzy, vers les 2000 m dans la vallée d’Ossau. Les deux espèces étudiées à nouveau montrent des croissances très semblables à celles trouvées précédemment; une coupe à la base d’une tige de Dryas octopetala d’environ 45 cm de long donne un âge de 42 ans; cette coupe souligne la forme curieuse de la tige dont les parties anciennes se délitent activement. Il est surtout à remarquer la position tout à fait excentrique de l’axe de la tige jeune située dans une région presque complètement morte et au contraire la croissance considérable des couches ligneuses successives dans une seule direction. La figure N°1 met bien en évidence le phénomène de très inégale croissance des différentes parties du méristème; la croissance ne s’est faite au début que dans une seule direction puis, par suite de l’existence de nouveaux points où les divisions de l’assise libéro-ligneuse se sont presque arrêtées, cette tige a pris une forme ailée très curieuse; elle correspond à une plaque d’environ 20 cm de large sur 30 de long au maximum. Les exfoliations de l’écorce ne permettent pas de déterminer les croissance successives annuelles, mais on peut mesurer la croissance de l’année en cours, ce qui donne trois centimètres comme ce que l’on avait trouvé précédemment.
La figure N°2 montre la complexité d’un pied de Salix reticulata; ce sujet est vu par la face inférieure; seules les racines plongent dans le sol; toutes les tiges sont couchées à la surface de la terre. Les coupes faites à différentes distances de l’extrémité des tiges montrent des croissances très différentes suivant les années : on peu estimer que cette plante a environ 30 ans; l’on a trouvé ainsi 27 ans pour une branche de 35 cm; 22 ans pour 32 cm; 20 ans pour 17 cm; 18 ans pour 10 cm; 7 ans pour 5 cm et 2 ans pour une pousse de 2 cm, ce qui donne une croissance moyenne de 1,3 cm légèrement supérieure à celle trouvée précédemment. La courbe en trait gras du graphique (fig. N°3), établie à partir de 65 mesures provenant d’autres individus, montre des croissances nettement plus faibles puisque la moyenne de ces croissances annuelles oscille autour de 0,8 cm. D’autres mesures devront être faites pour voir si ces différences sont dues soit aux méthodes d’estimation de l’âge et des croissances, soit au contraire à des différences individuelles ou à des conditions écologiques particulières.
Pour deux autres plantes nous avons pu également étudier les croissances annuelles : Daphnae cneorum et Juniperus nana.
Grâce aux cicatrices foliaires extrêmement bien visibles sur Daphnae cneorum, on peut arriver à distinguer la croissance des dix dernières années sur un même rameau; 61 mesures ont été faites : elles donnent une moyenne de 2,4 cm par an avec un minimum de 16 mm et un maximum de 30 mm. La valeur pour 1953 est faible par la suite de la date de la cueillette de l’échantillon (au début de l’été), la croissance n’étant pas encore terminée pour l’année. Des estimations de l’âge de certains rameaux montrent, ordinairement, des croissances analogues. C’est ainsi qu’une tige de 34 cm de long avait 18 ans; de 31 cm, 17 ans; de 29 cm, 10 ans; de 26 cm, 7 ans et de 16 cm, 6 ans. Les traces foliaires du Juniperus nana sont beaucoup moins visibles et l’on ne peut évaluer les croissances annuelles que sur six années consécutives; 60 mesures ont été faites donnant en moyenne 1,9 cm de croissance annuelle; cette croissance semble plus régulière puisque les moyennes annuelles des croissances ne varient qu’entre 2,2 cm et 1,7 cm (en laissantg de côté la valeur de la croissance de 1953). Sur une branche de 1,1 cm de diamètre et de 55 cm de long on a pu compter 22 anneaux concentriques, alors que pour une branche de 45 cm et de 7 mm de diamètre, l’âge n’est plus que de 14 ans.
La longueur et l’âge de 13 rameaux d‘Arctostaphylos alpina ont été déterminés et comparés. Les résultats indiquent une croissance d’environ 1 cm par an, certaines branches poussant plus rapidement que d’autres (40 cm : 35 ans – 21 cm : 18 ans) ou plus lentement (20 cm : 26 ans – 18 cm : 29 ans); en moyenne on peut donc dire que pour cette plante l’âge d’un rameau est égal à son nombre de centimètres.
De même pour Rhamnus alpina la croissance semble n’être que d’un centimètre par an puisque l’on a pour une longueur de 14 cm des rameaux de 13 ans d’âge. Une détermination de l’âge d’un rameau de Sorbus chamaemespilus donne 15 ans pour un rameau de 25 cm, ce qui correspond à une croissance d’environ 1,5 cm par an.
Une étude assez poussée a été faite sur plusieurs échantillons de Globularia nana. Il est toujours très difficile de récolter de longs rameaux car l’on constate qu’au bout d’un certain nombre d’années les parties les plus anciennes des vielles branches se délitent peu à peu. Le dessin (fig. N°4) donne l’aspect général du fragment étudié avec l’emplacement des coupes, le fond hachuré correspond à l’enchevêtrement de toutes les petites tiges, extrêmement contournées, entrelacées les unes avec les autres et garnies de feuilles; certains détails pour des parties terminales, sont seuls figurés. La base de ce rameau (7 cm de long) permet de voir cependant : 42 couches très nettes, une quinzaines peu nécrosées et environ 15 autres très nécrosées, ce qui oblige à donner à cette branche 72 ans d’âge au minimum. Sur cette première coupe (fig. N° 5A) on voit que la croissance s’est faite uniquement sur un côté du cylindre central et que ce n’est qu’un seul segment de l’assise libéro-ligneuse qui a donné assez régulièrement de nouveaux tissus, mais il n’est pas du tpout prouvé que la partie la plus ancienne, où les tissus sont les plus nécrosés, est le cylindre central primitif; cela peut très bien n’être qu’une petite partie d’une ancienne assise génératrice comme cela se voit sur la deuxième coupe (fig. N°5B) qui correspond à une branche de 50 ans environ (4,1 cm). Sur cette branche, la croissance qui s’était faite régulièrement suivant un arc de cercle de plus en plus large s’est arrêtée en son milieu et de chaque côté la croissance a continué de plus belle; c’est ainsi que l’on compte 10 ans de tissus sains et environ 40 ans de tissus qui sont déjà en passe de se décomposer. La figure schématique N°6 montre la coupe d’une tige de 13 ans (7 mm de long) avec son écorce très abondante possédant des parties lignifiées qui s’exfolient peu à peu.
Les plantes que nous venons d’examiner avaient des parties aériennes pérennantes et c’est sur ces organes que l’âge a pu être déterminé; tout au contraire les trois plantes qui nous restent à étudier ici ont des organes aériens très fugitifs et c’est sur les parties souterraines que nous pourrons compter leur âge, l’on est en effet en présence d’hémicryptophytes.
L’Aster alpinus possède un ensemble de tiges légèrement obliques dans le sol et ramifiées; la plante ayant environ une quinzaine de rosettes foliaires d’où partent des hampes florales de 15 cm de haut environ; quand on recherche l’âge de ces tiges souterraines on arrive à une quinzaine d’années pour environ 9 cm de long et c’est ainsi que l’on a 14 ans pour une tige de 8 cm; 11 ans pour 7 cm; 8 ans pour une tige de 4,5 cm.
L’Helianthemum canum a le même type d’organes souterrains; mais il semble que la croissance, toujours faible, soit assez variable d’un pied à l’autre puisque nous avons pu trouver : 23 ans pour une tige souterraine de 7 cm de long et d’autre part 19 ans seulement pour une autre tige de 11 cm. Cela donne respectivement des croissances annuelles, soit de 3 mm, soit de 5,7 mm !
Trois mesures ont été effectuées sur les rhizomes de Globularia cordifolia dont certains auteurs font dériver G. nana (simple variété) alors qu’il faut à notre avis la considérer comme une bonne espèce. Là le type d’organes souterrains est un peu différent puisque les tiges souterraines des espèces précédentes partaient toutes d’un pivot central, plus ou moins bien conservé mais visible alors que là l’on est en présence que d’un lacis de rhizomes entrelacés qui se ramifient en tous sens; des mesures de croissance indiquent environ un allongement annuel de trois millimètre, longueur que l’on retrouve entre les cicatrices des différentes rosettes foliaires. L’âge évalué sur trois échantillons donne comme valeurs 14 ans pour un rhizome de 8 cm; 11 ans pour 7 cm et 8 ans pour 4,5 cm.
Ces quelques résultats confirment ceux qui avaient été publiés antérieurement : aux environs de 2000 m la croissance des plantes alpines est extrêmement faible et, par suite, leur développement très réduit. Chouard avait déjà montré que les éboulis, dans la région des Pyrénées centrales, se colonisaient à la vitesse de 1 cm par an; l’un de nous a trouvé semblable progression dans la haute vallée d’Ossau. Cela pose un problème très grave ce qui concerne la recolonisation des surfaces errodées, par exemple autour des travaux de construction des grands barrages.
Ceci oblige nécessairement à « aider la nature » si nous voulons un jour revoir ces dévastations en partie masquées ! Ne pourrait-on pas, par exemple,créer des services compétents auprès des grandes entreprises afin de leur donner des directives nécessaires pour les aider à amorcer, par des plantes adéquates, la recolonisation des surfaces mises à nu.